L’affaire Mikado ou la forme d’un biscuit est-elle protégeable en tant que marque ?

Oui, à travers le dépôt d’une marque tridimensionnelle, à condition que celle-ci respecte les conditions classiques de validité d’une marque.

Contrairement aux marques verbales (mots ou expressions) ou aux marques figuratives (dessins ou logos bidimensionnels), les marques tridimensionnelles protègent la représentation en trois dimensions de la forme d’un produit ou de son emballage.

L’enregistrement de ces marques est cependant difficile à obtenir, dès lors que les offices considèrent comme dépourvues de caractère distinctif les formes qui ne s’écartent pas suffisamment et clairement des formes usuelles des produits concernés.

Le caractère distinctif d’une marque s’apprécie par rapport aux produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé et par rapport à la perception du public pertinent au moment du dépôt de celle-ci.

A titre d’illustration, la marque européenne tridimensionnelle représentant la barre chocolatée Bounty  a été refusée à l’enregistrement aux motifs que cette forme ne se distinguait pas suffisamment d’autres formes communément utilisées pour des barres chocolatées (TPICE, 08 juillet 2009, aff. T-28/08).

A l’inverse, très récemment, la cour d’appel de Versailles est venue confirmer la validité de la marque tridimensionnelle représentant le célèbre bâtonnet effilé bicolore et lisse, inspiré du jeu Mikado pour les produits « biscuits enrobés ou nappés notamment, de chocolat ou de caramel » en classe 30.

La société titulaire de cette marque reprochait à la société Biscuit Poult de contrefaire sa marque. Celle-ci soutenait en défense que la marque « Mikado » était nulle pour absence de distinctivité.

Elle rétorquait tout d’abord que cette marque était dépourvue de caractère distinctif intrinsèque, c’est-à-dire qu’elle ne remplissait pas la fonction d’une marque : celle de permettre aux consommateurs de distinguer l’origine commerciale des produits entre eux.

Elle considérait à ce titre que cette forme ne divergeait pas de la norme ou des habitudes du secteur des snackings sucrés et salés. Elle prenait notamment pour exemple les gressins, bretzels et biscuits fingers. Elle soutenait également que la combinaison des couleurs marron et jaune était banale pour des biscuits nappés au chocolat.

La cour d’appel de Versailles a cependant rejeté ces arguments.

Elle a notamment précisé que le secteur des produits concernés était celui des biscuits sucrés exclusivement et que « les développements de la société Biscuits Poult quant aux biscuits salés [étaient par conséquent] dépourvus de pertinence, le marché des biscuits sucrés et celui des biscuits salés ne se confond[a]nt pas ».

Elle a ensuite observé que si l’utilisation de couleurs jaune pour le biscuit et marron pour le chocolat était banale, la société Biscuit Poult ne démontrait pas que la forme du batônnet était courante pour des biscuits sucrés et a en conclu que cette marque était intrinsèquement distinctive. La charge de la preuve pesait donc sur la demanderesse en nullité de la marque, laquelle a été défaillante sur ce point en l’espèce.

La société Biscuits Poult soutenait également que la forme du Mikado était exclusivement imposée par des fonctions techniques et qu’elle était donc descriptive des produits visés au dépôt. Elle exposait à ce titre que :

– la forme du bâtonnet cylindrique et lisse était induite par la nécessité de le napper facilement de chocolat,
– que l’embout dénudé avait une utilité en ce qu’il permettait au consommateur de manger le biscuit sans se salir les doigt,
– et que la forme fine et longue du bâtonnait participait à améliorer le caractère croquant du biscuit ou la saveur chocolatée de son nappage.

La cour d’appel n’a pas suivi ce raisonnement :

– « Si le signe visé par la marque représente un biscuit, la fonction d’un biscuit enrobé ou nappé est d’être mangé et elle n’induit pas la forme protégée par la marque, celle-ci ne correspondant qu’à l’une des nombreuses formes que prendre un tel biscuit ».

– En outre, la cour d’appel a précisé que :

o Il n’est pas établi que sa forme de bâtonnet facilite son nappage plus qu’une autre forme, ni que sa forme fine et longue participe à améliorer le caractère croquant du biscuit ou la saveur chocolatée de son nappage,
o Et que sa forme ne constitue pas un résultat technique et que les proportions de nappage et la place qu’il occupe présentent une dimension esthétique plus importante que l’utilité de ne pas couvrir entièrement le biscuit afin de permettre sa dégustation sans que le consommateur ne se salisse les doigts. Cette fonction pouvant en outre être remplie par d’autres formes de biscuit.

La marque Mikado a par conséquent été jugée distinctive, et à ce titre valide.

Un biscuit peut donc être protégé par une marque tridimensionnelle à condition que la forme choisie soit inhabituelle, frappante ou qu’elle sorte de l’ordinaire.

Cette exigence de distinctivité est cependant difficile à respecter. En effet, les consommateurs n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel. Dans l’affaire « Mikado », il est probable que la renommée de la marque tridimensionnelle reconnue par ailleurs par la cour de Versailles aura contribué à la reconnaissance du caractère distinctif intrinsèque de cette marque.

En outre, la difficulté à obtenir l’enregistrement d’une marque tridimensionnelle explique peut-être le faible nombre de dépôts de ce type de marque. Ainsi, en 2022, sur les 94 545 demandes de marques déposées auprès de l’INPI, seulement 80 marques l’ont été sous forme tridimensionnelle.

Aucune forme de produit n’a en outre été déposée en classe 30 (denrées alimentaires d’origine végétale). Seules des formes d’emballages ont fait l’objet de dépôts français et ont été enregistrées par l’INPI. A titre d’illustrations, la forme d’un sachet de muffins ou encore la forme d’un paquet de chips .

L’intérêt de déposer une marque tridimensionnelle est cependant multiple et ne doit pas être négligé.

Un tel enregistrement représente tout d’abord un élément stratégique pour asseoir son identité de marque et se différencier de la concurrence, en se dotant d’un moyen de défense très solide.

En outre, elle confère un avantage commercial majeur : un droit exclusif d’utilisation, potentiellement illimité dans le temps, sur ladite forme, ce que ne permet aucun autre droit de propriété intellectuelle (droit des dessins et modèles, droit des brevets et droits d’auteur).

Afin de bénéficier d’un tel avantage, il est néanmoins nécessaire de bien préparer le dépôt en amont afin d’éviter tout risque de refus d’enregistrement. Il convient de vérifier qu’à la date du dépôt, le signe choisi est disponible, non déceptif, licite et distinctif et notamment de veiller à ce que :

– la forme du produit diffère de celle habituellement utilisée pour des produits similaires ;
– que cette forme ne soit pas exclusivement dictée par la nature ou la fonction du produit qu’elle représente ;
– et que le libellé des produits choisi ne soit pas la description exacte de la forme du produit déposé.

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